Nous l’avons tous appris, nous sommes nos gènes. Ce sont nos gènes qui font ce que nous sommes. C’est eux qui nous font blond ou brun, grand ou petit, qui font que nous ressemblons à nos parents beaucoup ou pas, et qui peuvent faire que nous soyons touchés par une maladie génétique. Ce matériel génétique agit comme un code qui va donner des instructions pour nous construire.
Alors, tout est-il écrit d’avance ?
Heureusement non, nous ne sommes pas qu’un « matériel génétique », nous sommes également le produit de notre environnement: les expériences que nous vivons, l’éducation que nous avons reçu, les valeurs morales que nous nous sommes construites, le sens que nous voulons donner à notre vie. Mais nous sommes également ce que nous mangeons, ce que nous respirons, ce que nous ressentons…
Mais, au final, vous vous dites: ce que nos enfants hériterons de nous, ce sont nos gènes et pas l’environnement dans lequel nous avons vécu et ce que nous avons fait de notre vie. Pas de cas de conscience à avoir, nous pouvons donc boire, manger, fumer ce que nous voulons, après tout, ça ne concerne que nous !
Et bien détrompez-vous! l’épigénétique ça vous dit quelque chose?
Définition
L’épigénétique (du grec ancien ἐπί, épí, « au-dessus de », et de génétique), littéralement « ce qui est au-dessus de la génétique », est la discipline de la biologie qui désigne les processus moléculaires permettant de moduler l’expression des gènes, mais ceux qui ne sont pas fondés sur les changements dans la séquence de l’ADN (Bird, 2007, Gabory, 2011, Bourc’his, 2010).
Alors que la génétique correspond à l’étude des gènes, l’épigénétique s’intéresse à une « couche » d’informations complémentaires qui définit comment ces gènes vont être utilisés par une cellule ou… ne pas l’être. C’est un concept qui dément, en partie, la « fatalité des gènes ».
Dans l’histoire de ce sujet d’étude, l’épigénétique est d’abord mise en évidence dans la différenciation cellulaire puisque toutes les cellules d’un organisme multicellulaire ont le même patrimoine génétique, mais l’expriment de façon très différente selon le tissu auquel elles appartiennent (coeur, foie, peau…). En matière d’évolution, l’épigénétique permet d’expliquer comment des traits peuvent être acquis, éventuellement transmis d’une génération à l’autre ou encore perdus après avoir été hérités. La mise en lumière récente de ces moyens épigénétiques d’adaptation d’une espèce à son environnement est selon Joël de Rosnay en 2011 « la grande révolution de la biologie de ces dernières années » car elle montre que dans certains cas, notre comportement agit sur l’expression de nos gènes.
Que se passe t-il au niveau de notre ADN?
Notre ADN, élément constitutif des chromosomes, possède une structure en double hélice constitué d’une longue suite de « bases », identifiées A, T, G et C et dont la séquence (la suite, l’organisation) forme le code génétique. Ce code est en quelque sorte une « base de données » interne contenue dans chacune de nos cellules et fournit les instructions nécessaires et indispensables à la fabrication des protéines. Or, ce sont les protéines qui contrôlent l’ensemble du bon fonctionnement de notre organisme. Lorsqu’une protéine est produite à partir du code génétique correspondant à un gène, on dit que le gène est exprimé.

Macrostructure de l’ADN
Le paradoxe
Chacune de nos cellules contient l’ensemble de notre patrimoine génétique : 46 chromosomes hérités de nos parents sur lesquels on compte environ 25 000 gènes. Mais si toutes nos cellules contiennent la même information, elles n’en font visiblement pas toutes le même usage : une cellule de la peau ne ressemble en rien à un neurone, une cellule du foie n’a pas les mêmes fonctions qu’une cellule du cœur. De même, deux jumeaux qui partagent le même génome ne sont jamais parfaitement identiques !
Comme le dit Winship Herr, professeur au Centre Intégratif de Génomique (Lausanne) comparant l’ADN à un livre de cuisine: « Chacun consulte les recettes qui lui sont utiles pour confectionner son repas et laisse les autres de côté. Il en va de même avec les différentes cellules de l’organisme. Elles renferment toutes, au sein de leur noyau, un même exemplaire d’ADN. Toutefois, chacune ne lit que les pages (les gènes) dont elle a besoin pour confectionner les plats (les protéines) utiles à son fonctionnement.
Epigénétique : Quels sont les mécanismes?
Concrètement, ces modifications sont matérialisées par des marques biochimiques, apposées sur l’ADN ou sur des protéines qui le structurent: les histones (voir encadré). Les marques les mieux caractérisées sont les groupements méthyle (CH3 : un atome de carbone et trois d’hydrogène) apposés sur l’ADN, ainsi que diverses modifications chimiques des histones (méthylation, acétylation…).
Pour qu’un gène conduise à la synthèse d’une molécule, il doit être lisible (gène « on »), c’est-à-dire accessible à différents complexes protéiques qui interviennent dans ce processus. Les marques de méthylation localisées sur l’ADN vont le plus souvent obstruer les aires d’arrivée de ces complexes protéiques, conduisant ainsi à l’inactivation des gènes concernés (gène « off »). Les marques apposées sur les histones modifient quant à elles l’état de compactage de la molécule d’ADN, favorisant ou au contraire limitant l’accessibilité aux gènes.
En résumé, si le chromosome est la bande magnétique d’une cassette et que chaque gène correspond à une piste enregistrée sur la bande, les modifications épigénétiques sont des morceaux de ruban adhésif repositionnables qui vont masquer ou démasquer certaines pistes, les rendant illisibles ou lisibles.

Mécanismes épigénétiques
Ces éléments sont-ils héréditaires?
Une petite histoire :
A Överkalix, un petit village isolé du nord de la Suède, les responsables de la paroisse ont de tout temps eu le sens des registres bien tenus. Depuis la fin du XIXe siècle, et jusqu’à la fin du XXe, ils ont consigné avec soin les saisons de bonnes et de mauvaises récoltes. Une mine d’informations pour le spécialiste suédois de médecine préventive Lars Olov Bygren et le généticien britannique Marcus Pembrey, qui ont pu reconstituer les périodes de disette et celles marquées par l’abondance.
Etudiant aussi l’état de santé de quelques familles du village sur trois générations, ils ont fait une découverte étonnante. Ils ont constaté que, quand un grand-père avait connu, durant sa pré- adolescence, un des rares hivers d’abondance et qu’il avait beaucoup mangé, cela influençait l’espérance de vie de son fils et de son petit-fils! Ces derniers vivaient sensiblement moins longtemps que les descendants des hommes qui, au même âge, avaient connu la famine car ils développaient quatre fois plus un diabète de type 2. Les mêmes effets se retrouvaient d’ailleurs dans les lignées féminines…
Cette observation avait de quoi ébranler les esprits et bousculer quelques idées admises en génétique classique. Elle apportait en effet une confirmation à des hypothèses déjà émises: les parents peuvent transmettre autre chose que leurs gènes à leurs enfants. Le patrimoine qu’ils leur lèguent porte aussi la trace de certains événements importants qu’ils ont vécus.
En termes scientifiques, ce phénomène porte désormais un nom: l’épigénétique.
Epigénétique et hérédité
Les marques épigénétiques, bien que réversibles, sont transmissibles au cours des divisions cellulaires. Ce phénomène est particulièrement important au cours du développement embryonnaire. Au sein de l’embryon, les cellules sont au départ toutes identiques. Elles vont rapidement recevoir des signaux très orchestrés les conduisant à activer ou inactiver certains de leurs gènes pour se différencier en telle ou telle lignée cellulaire et construire l’organisme. Les marques épigénétiques alors mises en place doivent se transmettre au cours des divisions cellulaires, pour qu’une cellule de foie reste une cellule de foie et une cellule osseuse une cellule osseuse.
Certaines marques épigénétiques pourraient même passer à la descendance. La transmission intergénérationnelle de marques matérialisées par la méthylation de l’ADN est très documentée chez les plantes. Chez les mammifères, l’étude du phénomène est beaucoup plus complexe et fait encore l’objet de controverses. La formation des gamètes (ovules et spermatozoïdes) puis celle de l’embryon impliquent en effet chacune un effacement des marques épigénétiques : cette « remise à zéro » est nécessaire à la spécialisation des gamètes puis à la pluripotence (capacité à se différencier en n’importe quel type cellulaire) des toutes premières cellules de l’embryon. Toutefois, des gènes semblent y échapper.
Un exemple est celui du gène agouti, impliqué dans la détermination de la couleur du pelage chez la souris : dans un groupe d’animaux portant tous la même version de ce gène, certains ont un pelage brun chiné et d’autre un pelage jaune. Ces derniers ont en outre une susceptibilité accrue à l’obésité, au diabète et à certains cancers. Qu’est-ce qui les différencie ? Il ne s’agit pas d’une mutation affectant la séquence de leur ADN, mais bien d’une marque épigénétique portée par les souris brunes, qui éteint le gène agouti.
Or on observe que la proportion de souriceaux bruns est plus importante dans la descendance des mères brunes que dans celle des mères au pelage jaune : ceci suggère que les mères brunes peuvent transmettre à leur descendance la marque épigénétique qui éteint le gène agouti.
L’une des études les plus surprenantes suggère que les changements épigénétiques pourraient se transmettre sur au moins quatre générations.
Epigénétique et maladies
Les modifications épigénétiques sont induites par l’environnement au sens large : la cellule reçoit en permanence toutes sortes de signaux l’informant sur son environnement, de manière à ce qu’elle se spécialise au cours du développement, ou ajuste son activité à la situation. Ces signaux, y compris ceux liés à nos comportements (alimentation, tabagisme, stress…), peuvent conduire à des modifications dans l’expression de nos gènes, sans affecter leur séquence. Le phénomène peut être transitoire, mais il existe des modifications épigénétiques pérennes, qui persistent lorsque le signal qui les a induites disparaît.
L’enjeu est d’importance dans la mesure où les modifications de l’expression des gènes sont à l’origine de dérèglements qui peuvent conduire au développement de toute une série de maladies. Il est désormais largement admis que des anomalies épigénétiques contribuent au développement et à la progression de certaines maladies humaines, en particulier les cancers. Les processus épigénétiques interviennent en effet dans la régulation de nombreux évènements tels que la division cellulaire, la différenciation, la survie, la mobilité… L’altération de ces mécanismes favorisant la transformation des cellules saines en cellules cancéreuses, toute aberration épigénétique peut être impliquée dans la cancérogenèse.
Par ailleurs, le rôle de l’épigénétique est soupçonné et très étudié dans le développement et la progression de maladies complexes et multifactorielles, comme les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, sclérose latérale amyotrophique, Huntington…) ou métaboliques (obésité, diabète de type 2…). De nombreuses études épidémiologiques suggèrent en outre l’existence de liens entre diverses expositions au cours de la vie intra-utérine (voire dès la fécondation) et la survenue de maladies chroniques à l’âge adulte. L’épigénétique pourrait expliquer ces liens : des erreurs épigénétiques intervenant au cours du développement embryonnaire peuvent par exemple conduire à la formation d’un nombre insuffisant de néphrons (unité tissulaire du rein) ou de cellules bêta du pancréas, conférant un risque accru d’hypertension ou de diabète à l’âge adulte. Une hypothèse qu’il reste à confirmer en mettant en évidence les changements épigénétiques associés.
De la même manière que l’on sait aujourd’hui obtenir la séquence d’un génome complet, il est aussi possible de connaître l’ensemble des modifications épigénétiques qui le caractérise : on parle d’épigénome. C’est ce type d’approche globale et non biaisée qui permettra de mieux appréhender l’implication de l’épigénétique dans les maladies humaines.
Epigénétique et facteurs environnementaux / mode de vie
1- Alimentation
L’alimentation, par sa quantité et par sa qualité, est susceptible de modifier les molécules nécessaires au fonctionnement de la machinerie épigénétique. Chez l’homme, des modifications épigénétiques liées à un déficit ou à un excès de nutriments pendant le développement embryonnaire, fœtal et / ou néonatal ont été identifiés (cf étude réalisé en Suède).
2- Perturbateurs endocriniens
Les perturbateurs endocriniens de l’environnement sont des produits chimiques synthétiques qui ressemblent aux hormones naturelles et sont connus pour causer des perturbations épigénétiques. Le bisphénol A, notamment, a fait l’objet de nombreux débats sur ses propriétés de perturbateur endocrinien. En 2010, l’Ineris (http://www.ineris.fr) a identifié les femmes enceintes et allaitantes, les fœtus, les nouveaux-nés et les jeunes enfants comme des populations potentiellement sensibles vis-à-vis du BPA. En France l’interdiction de l’utilisation du bisphénol dans les contenants alimentaires est effective depuis le 1er janvier 2013 pour les produits destinés aux enfants de moins de 3 ans.
Chez l’animal, les données montrent que l’exposition précoce à des doses physiologiques de BPA perturbe l’expression et la méthylation des gènes via des modifications épigénétiques chez l’embryon et un développement anormal du placenta murin. (Susiarjo, M, 2013). Chez le rat, le BPA altère la stéroïdogenèse ce qui peut conduire à un dysfonctionnement testiculaire (D’Cruz SC, 2012)
D’autres perturbateurs endocriniens sont présents dans une large gamme d’insecticides, de fongicides et d’herbicides (trichlorofone, vinclozoline, atrazine), ceux-ci induisant des effets sur le système reproductif femelle et mâle après exposition in utero.
3- Tabac
L’exposition au tabac affecte l’épigénome et cela peut augmenter le risque de maladies et de cancers. Dans une étude suédoise récente (Besingi, 2013), les chercheurs ont examiné la manière dont les gènes ont été modifiés chez les fumeurs et ont identifié un grand nom de gènes touché par ces modifications. Cela suggère des modifications épigénétiques liées à la consommation de tabac.
En 2013 une étude sur la méthylation de l’ADN issu de sang de cordon de 1062 nouveau-nés (cohorte MoBa: l’étude de cohorte mère et enfant norvégienne) a mis en évidence une association entre les niveaux de nicotine maternelle et la méthylation de 473 844 séquence d’ADN (Joubert, 2013).
4- Stress
Les chercheurs ont constaté que l’exposition chronique à une hormone du stress provoque des modifications de l’ADN dans le cerveau des souris, ce qui provoque des changements dans l’expression des gènes. La nouvelle découverte fournit des indices sur la façon dont le stress chronique peut affecter le comportement humain.
Lors de situations de stress, nous produisons des hormones stéroïdes appelées glucocorticoïdes qui affectent de nombreux systèmes physiologiques dans l’ensemble de notre corps. Des études ont révélé que les glucocorticoïdes altèrent l’expression des gènes dans le cerveau. Le groupe dirigé par les Drs. James B. Potash et Gary S. Wand, de l’École de médecine de l’Université Johns Hopkins, ont mis en évidence que l’action de ces hormones du stress provoquait des modifications épigénétiques.
Même si aujourd’hui cette « transmissibilité » à la descendance, n’est pas formellement démontrée, le stress induit des modifications épigénétiques qui, par définition, pourraient se transmettre aux générations suivantes.
Conclusion :
Notre patrimoine génétique est un bien précieux, il nous construit, il fait de nous, en partie, ce que nous sommes, mais nous pouvons influer sur son expression et par la même, sur notre qualité de vie : C’est ce qui fait que chacun d’entre nous est un être absolument unique.
En réalité, l’expression de nos gènes est la résultante de ce que nous avons hérité de nos parents, de notre comportement et de l’environnement dans lequel nous évoluons. Je ne franchirai pas le pas en disant que la fatalité n’existe pas (amateurs de philosophie, à vos stylo!) mais ce qui est certain, c’est que tout n’est pas écrit d’avance. C’est pour cela que, de façon pragmatique (encore de la philo!) nous devons faire en sorte d’ influer positivement sur ce patrimoine pour optimiser notre état de santé et, surtout, faire en sorte de le léguer à nos enfants dans les meilleures conditions.
Aurions nous donc une double responsabilité? : le patrimoine dont nous avons hérité et ce que nous en avons fait? La question est encore loin d’être éludée car cette science, l’épigénétique, n’est qu’aux début de ses révélations. Malgré sa « jeunesse », cette discipline a déjà énormément progressé et nous savons d’ores et déjà qu’elle ouvre un champ de recherche aussi passionnant que prometteur en terme de compréhension du vivant mais également en terme de développement de nouvelles thérapies et/ou méthodes de prévention, notamment, grâce à la réversibilité des modifications épigénétiques.
Sources NIH, National institutes of Health DNA Methylation Society (international) Epigenome Network of Excellence (Europe Human Epigenome Project (Europe) Unité Cancer et Environnement Université de Lausanne Images: libres de droits