Comment produire du blé ancien ? Angelo Avagliano, Cilento

Interview avec Angelo Avagliano, agriculteur et producteur de blé ancien, à Laurino, Sud Italie.

Retranscription

D: Qui êtes-vous, Angelo Avagliano?

A: je m’appelle Angelo Avagliano, j’habite à Pruno de Laurino en Cilento, dans le cœur du parc naturel du Cilento, qui est une macro-région de la Campanie. Je vis ici depuis 1991, je suis originaire du chef-lieu, c’est-à-dire Salerno, mais je me suis retrouvé dans ce lieu suite à un choix lié au soin et à la prévention de la santé et aussi pour avoir un mode de vie qui est selon moi plus approprié aux êtres humains.

D: qu’est-ce que c’est la santé selon vous ?

A: Selon moi la santé c’est avoir soin des relations personnelles, être en harmonie avec les gens qui nous entourent, avec l’environnement et aller bien aussi physiquement. En fait, la santé c’eest soigner son style de vie, une chose qui n’est plus possible dans les villes, même si elles sont petites.

D: Comment vois-tu l’agriculture aujourd’hui ?

A: Nous avons pensé qu’avec l’industrialisation la quantité de nourriture pouvait répondre à nos besoins. En effet, nous devons déchanter et nous devons penser à la qualité de ce que nous mangeons. Pour penser à la qualité, nous devons nécessairement penser à la qualité de notre attitude envers l’agriculture, en la voyant comme un moment qui n’est pas distinct de la vie sociale, car l’agriculture va de pair avec notre société. Donc, il faut faire très attention à la préservation et à la régénération de la fertilité des sols, parce qu’un sol fertile et bien entretenu, auquel on donne toutes les matières organiques qui sont en transformation et que nous prenons, donnera naissance à des produits qui ont une âme et qui peuvent nourrir notre esprit ainsi que notre corps. Il faut penser ainsi et aller vers cette direction.

D: Comment peut-on soigner notre sol ?

A: Moi, je me considère un fermier moderne car je cherche d’utiliser au mieux mes origines et traditions, mais en même temps je suis ouvert à toutes les modernités des « sciences », des façons de faire, tant sociales que strictement techniques et agricoles, et donc je cherche toujours à associer ces deux manières de penser. On commence par ce qu’on peut trouver sur le territoire, par exemple en faisant un recensement, en observant tout autour de nous pour identifier les ressources naturelles qui nous entourent et avec lesquelles les gens, qui nous ont précédé dans l’évolution , ont toujours vécu et qu’ils ont toujours utilisé dans la manière la plus efficace. Surement, aujourd’hui on doit aussi puiser de nos autres savoirs qui, maintenant, nous arrivent principalement des populations indigènes des autres pays, c’est-à-dire les pays du tiers-monde, qui ne sont pas du tiers-monde ni du quatrième ou cinquième, parce qu’ils ont encore la capacité de régénérer les terrains et de soigner la fertilité du sol seulement avec ce qu’ils ont, sans ajouter la chimie.

D : Quelles techniques de culture utilises-tu ?

A : Je me suis adressé à plusieurs techniques de culture dérivant de philosophies concernant la façon d’agir dans les campagnes et la modernité, en commençant par la biodynamique, les savoirs sur la « synergie » et les potagers synergiques, ce que Masanobu Fukuoka parlait dans l’art de cultiver en laissant faire à la terre, et les nombreuses expériences du passé qu’on cherche à actualiser. Maintenant, je gère mon potager et mes champs de blé en suivant les techniques et la philosophie de l’agriculture organique et régénérative qui se base sur la restitution des matières organiques au terrain et sur tous les procédés organiques typiques du terrain, cet organisme vivant. Un bon terrain, bien fertilisé, nous donnera surement une nourriture saine, des plantes saines et des fruits et des légumes sains.

D : Que veut dire « blé ancien » et comme le produit-on ?

A : Dans la vallée du Cilento maintenant nous cultivons plusieurs blés anciens, en commençant par Pruno. Quand je suis arrivé ici j’ai trouvé qu’il y avait encore ce blé qui était la « carosella », qui j’ai appelé la « carosella » de Pruno, un blé tendre, survécu à la modification génétique et conservé dans cette zone, parce que la route, sa communication avec l’extérieur, c’est-à-dire la route goudronnée, est arrivée seulement dans le 1984 et, avec elle, tous les engrais et la chimie sont arrivés aussi ; on peut dire que jusqu’à ce moment Pruno de Laurino a été un havre heureux. Egalement, nous avons aussi la « saragolla », qui n’est que le blé moderne de Khorasan, qui a subi une action de « branding », mais, en effet, la graine d’origine venait du bassin Méditerranéen, du sud de l’Italie, du centre de l’Italie. Puis, nous avons la « risciola », un autre blé tendre qui était utilisé dans la passé pour faire toutes les préparations qui avaient besoin de lever parce que, entre tous les blés, la « risciola » avait la teneur en amidon la plus haute et, pour cela, elle a été une des premières farines à être utiliser à la cour de Naples pour faire le baba. Enfin, nous avons des autres blés qui sont la « ianculidda » et la « russulidda » ; maintenant dans le Cilento entier plusieurs typologies de blé se sont diffusées et donc on a une perpetuelle évolution. En vérité, en plus des typologies que nous voulons préserver pour nous garantir une réserve énergétique toujours disponible, dans les dernières années nous avons dirigé notre attention aux semailles et à la culture des mélanges et des populations évolutives. En fait, on mélange beaucoup des blés ensemble, blés durs ou blés tendres, et j’ai commencé à mélanger aussi les différentes typologie de légumes ou d’autres végétaux, car augmenter la biodiversité dans son champ c’est une bonne stratégie pour le futur ; par exemple, si dans une année la récolte ne va pas bien pour un événement atmosphérique ou pour n’importe quelle raison et la « carosella » na va pas bien, pendant cette année il n’y a aucune récolte. Au contraire, une stratégie, qui peut aider dans le futur et qui vient du passé, c’est celle d’augmenter la biodiversité, même entre les blés anciens qu’on a dans les champs, car surement les graines ont une manière de s’adapter. Entre tous, il y aura toujours quelque graine qui ira bien et pour cela on peut dire qu’avoir une bonne biodiversité dans son champ c’est une garantie pour le futur.

D : Gluten et maladie cœliaque : qu’est-ce qu’en pensez-vous ?

A : La maladie cœliaque est une des nombreuses manifestations et cons »quences dus à la monopolisation des cultures et du mauvais soin du terrain et c’est pour cela qu’il faut parler de la biodiversité. Notre intestin, qui est notre cerveau ancestral, a besoin d’avoir un microbiote intact. Cela signifie que nous devons nourrir notre intestin avec beaucoup de nourritures, céréales et légumes variés, pour avoir une bonne flore intestinale qui renforce nos défenses immunitaires. Alors, la monopolisation des traitements du terrain, la monopolisation des graines nous a conduit vers un monde Occidental dans lequel les nourritures qui arrivent dans nos assiettes sont toutes la même chose, il n’y a pas variété et pour cela, notre intestin ne réussit plus à avoir la capacité de réaction et de résilience, c’est-à-dire la capacité d’absorber les événements négatifs et de les transformer en ressources. Pour ce qui me concerne, je pense que la maladie cœliaque est la conséquence de tous les poisons utilisés dans l’agriculture, en commençant par le glyphosate, qui est très diffusé maintenant, et tous les autres poisons qu’on utilise comme conservateurs ; mais aussi, à cause de la modification génétique des blés, donc de la modification de leur essence, notre intestin, notre cerveau ancestral, ne reconnait plus ces produits dans la juste manière et il a tendance à les refuser. D’une certaine manière, la maladie cœliaque peut être entendue comme une bonne capacité de l’organisme à reconnaitre encore ce qui n’est plus fonctionnel pour l’existence de l’espèce et, par conséquence, de le refuser.

D : Donc, on peut dire que nous ne mangeons plus selon notre biologie, n’est-ce pas ?

A : Nous avons évolué avec les graines et les graines sont sinanthropes, c’est-à-dire que l’évolution des graines va de pair avec l’évolution de l’homme. Dans ces moments, pendant les 50 dernières années, cet écart s’est creusé et donc c’est une bonne chose que les intestins reconnaissent encore ce qui n’est plus adapté à notre biologie, à notre physiologie.

D : Qu’est-ce que vous pensez des régimes tendance ?

A : Les régimes sont une invention des diététiciens, des nutritionnistes. Je parlerais plus de la manière de manger du Sud, et du bassin Méditerranéen. Maintenant, nous sommes dans le Cilento, qui a été la patrie de l’invention du régime méditerranéen uniquement parce que Ancel Keys l’a étudié et l’a recensé. En réalité, dans le Cilento on a toujours mangé dans une certaine manière qui n’était pas le régime méditerranéen, mais la manière de manger du Sud qui dérivait du moment historique, de ce qu’on avait dans les champs et dans la mer et puis c’était un style de vie, ce n’était pas lié seulement à l’alimentation. Et maintenant est-ce qu’il y a encore l’huile qu’il y avait ? Comment peut-on parler de régime méditerranéen s’il n’y a plus l’huile qu’il y avait avant ? s’il n’y a plus la biodiversité des terrains, qui nous permettait d’avoir ces huiles, cette typologie d’olive et ce parfum ? Maintenant on a tendance à se concentrer de plus en plus sur le petit, à fractionner. Au contraire, je pense que c’est dans l’unité des nourritures, comme dans le grain de blé, dans la farine complète moulue avec la pierre car nous avons aussi un moulin avec lequel nous moulons nos blés, donc dans l’intégrité de la nourriture il y a aussi l’intégrité de l’énergie de la nourriture. Fractionner les graines en diverses parties, fractionner aussi notre savoir en différents compartiments étanches représente notre pauvreté.

D : Donnez-nous un conseil pour aller bien et pour avoir une excellente santé

A : Pour bien manger, chacun devrait commencer à cultiver le terrain, faire un petit potager ou, au moins, participer dans une certaine manière aux étapes de production, c’est-à-dire une production collaborative. Maintenant, dans nos villes il y a beaucoup de choix qui conduisent à des nouvelles alliances entre les fermiers, qui veulent rester des fermiers et préserver la fertilité des terrains, et les personnes qui deviennent des consommateurs, c’est-à-dire des acteurs de la consommation, et qui établissent une relation de solidarité et de soutien avec les fermiers qui veulent produire, par exemple en préservant la fertilité du terrain ; Pour cela il faudrait la considérer comme un bien commun, de la collectivité, ainsi que l’eau, la mer et l’air. Cela signifie que la fertilité du terrain est ce qu’on devrait soutenir, notre agir pour le futur. Un conseil que je peux donner c’est celui d’arrêter d’être consommateurs et de commencer à être acteur même d’une petite production, parce que si je veux bien produire dans le respect de la terre, je peux produire pour 10 familles, mais pas plus de ça, sinon j’agis dans une direction opposée. Collectivement, dans le monde entier, on est en train de chercher des technologies appropriées pour pouvoir répondre aux besoins de plusieurs personnes mais en travaillant toujours dans le respect de la terre. Toutefois, il faudrait inverser la tendance : il devrait redevenir un moment communautaire entre ceux qui produisent et ceux qui consomment.

Site de Angelo Avagliano

http://www.tempadelfico.com