S’attacher et de se détacher, une théorie du lien

Simple « au-revoir », séparation transitoire ou définitive, qui n’a pas déjà connu ce sentiment douloureux à l’idée de se séparer d’une personne? Un sentiment que l’on a par ailleurs bien souvent du mal à comprendre… Mais l’expression et le ressenti de cette souffrance vont se manifester de différentes manières, selon que nous soyons un individu sécure, ou insécure. Pour certaines personnes, les séparations sont toujours source d’angoisse, alors que pour d’autres, elles se font de manière apaisée. Entre ces deux extrêmes, de multiples nuances existent, évidemment.

Dès les premières interactions entre l’enfant (voire le fœtus) et son entourage, se créent des liens, et de la qualité de ces liens dépendent les modalités d’attachement de l’adulte qu’il deviendra. En effet, certains événements traumatisants pendant la grossesse, l’accouchement et les premiers mois de vie du bébé vont blesser ce lien affectif et émotionnel et perturber l’attachement de l’enfant à sa mère amenant à un sentiment d’insécurité  appelé « trouble de l’attachement ».

Cette base de (in)sécurité fera de lui un individu plus ou moins autonome, ou plus ou moins insécurisé, manquant de confiance en lui, mais aussi en l’autre.

La théorie de l’attachement

L’une des théories les plus abouties à ce jour est la théorie de l’attachement, conceptualisée par J. Bowlby (1978)1, puis précisée par Mary Ainsworth. Elle prend elle-même appui sur les premières études faites en éthologie et sur la théorie darwinienne.

Selon J.Bowlby, l’attachement serait un besoin primaire et inné de contact social, de proximité aussi important que le celui de se nourrir et de reproduction. Cet attachement permettrait la co-construction d’un lien d’attachement précoce à un ou des « caregiver »2 .

Le but premier de ce dernier serait d’accroître une proximité physique avec ce(s) dernier(s), et d’assurer sa survie. Dans cette perspective, cris, agrippements, fouissements, exploration visuelle, et contacts par le regard seraient des comportements qui favoriseraient l’« attachement». Selon la qualité de ce dernier, le bébé pourrait se détacher de son « caregiver » avec plus ou moins d’anxiété et accéder à son autonomie. Il est important pour l’enfant que cette figure d’attachement soit prévisible, qu’elle réponde à ses besoins psychologiques et physiologiques, et qu’il sache qu’il pourra compter sur elle en cas de situation anxiogène. M. Ainsworth (1969, 1978) développera par la suite une situation expérimentale standardisée d’une vingtaine de minutes, « la situation étrange»3, qui évalue la solidité de l’attachement des enfants de 12 et 18 mois, en prenant en compte la notion de « base de sécurité ».

Elle en définira plusieurs styles d’attachement :

  • L’attachement sécure de type B: après une période d’inquiétude, l’enfant recherche la proximité de sa mère pour retrouver une base de sécurité. Il concerne 65 % des enfants de la population.
  • L’attachement insécure ou anxieux avec deux sous-groupes :
    • l’attachement insécure «résistant ou ambivalent » de type C marqué par une alternance de comportements de retrait et de rapprochement avec la mère. Il concerne 14% des enfants.
    • l’attachement insécure « évitant » de type A : l’enfant évite sa mère pendant les retrouvailles et ne parvient pas à retrouver sécurité et confiance dans 21% des enfants.
  • L’attachement désorganisé  de type D : proposé plus tard par M. Main (1985). L’enfant ne parvient pas à utiliser sa mère pour réguler ses émotions et comportements et il parait perdu à l’approche de celle-ci.

Pour Ainsworth et Al (1978) la sensibilité de la mère (ou de la personne donnant les soins) à percevoir et interpréter les signaux de l’enfant est essentielle pour le développement d’un attachement sécure. A l’inverse, les mères qui manquent de disponibilité et de sensibilité, qui paraissent indifférentes ou montrent une pauvreté des réponses risquent d’induire le développement d’un attachement anxieux chez leur enfant. En cas de séparations et/ou dangers et en fonction de ce qu’il aura appris de ces  interactions précoces, l’enfant pourra soit puiser dans cette base de sécurité, soit  déclencher des réactions d’anxiété, voire d’angoisse au moyen de pleurs, de cris, d’évitements… Il a été montré par Spitz (1954)4, que des enfants en bas-âge privés de soins maternels, pouvaient montrer des retards de développement psychomoteurs, voire se laisser mourir (dépression anaclitique).

Le devenir de l’attachement à l’âge adulte

Ce jeu de demandes et de réponses apportées de manière appropriée ou pas va conditionner plus ou moins les relations de l’adolescent, puis de l’adulte en devenir… C’est comme cela que telle personne mettra à distance toute relation amoureuse trop impliquante, ou au contraire sentira une sorte d’anéantissement à chaque prise de distance, que ce soit une relation amoureuse ou amicale. Ce qui aura été mémorisé, intériorisé donnera des manières différentes de s’approcher de cet « Autre » que ce soit  dans :

  • la façon d’aborder les autres: avec aisance, méfiance, ambivalence …
  • la façon de « lire » les mouvements de rapprochement ou l’expression de distance des autres: sécurité, anxiété…
  • la façon d’organiser le passé et structurer la mémoire

Il faut toutefois nuancer cette approche. En effet, depuis, de nombreuses recherches ont été faites montrant l’importance du père et de la fratrie dans les modalités d’attachement. La mère ne supporte pas seule le rôle de cet attachement, et l’environnement élargi peut apporter un étayage supplémentaire. Aussi, l’enfant développe lui-même ses propres ressources au fil de son développement, ce qui peut venir compenser certains manques. La tâche de l’adulte est alors d’accéder à son autonomie, d’aller chercher en lui cette base de sécurité, de comprendre d’où il vient pour construire au présent.

« Nous habitons un monde interprété par d’autres où il nous faut prendre place. »

Boris Cyrulnik in « Les nourritures affectives ».

 

Ci-dessous, vous trouverez une vidéo de l’une des chercheuses française, Nicole Guideney expliquant la Théorie de l’attachement :

Pour aller plus loin :


Bibliographie

2 En anglais, le Caregiver, est la personne qui donne les soins.

3 M.D. AINSWORTH et al., Patterns of Attachment: A psychological study of the strange situation, Hillsdale/Lawrence Erlbaum, 1978.

4 SPITZ R. « Genèse des premières relations objectales », Revue Française de psychanalyse, 1954 ; 18 (4) : 479-575

Autres lectures :

  • B. Pierrehumbert, Le Premier Lien. Théorie de l’attachement, Odile Jacob, 2003
  • Bowlby , J. (1969).  » Les effets sur le comportement d’une rupture des liens affectifs, Hygiène Mentale du Canada, N°59, 1-13

Crédit photo : Anne Geddes

Auteur :

Sandrine Cuzzillohttp://psy-dignelesbains.fr/
Sophrologue et thérapeute analyste, Sandrine est aussi psychologue clinicienne stagiaire sur Paris8. Elle s’intéresse à la clinique du psychotraumatisme, et aux phénomènes d’emprise sectaire. Passionnée par le fonctionnement humain, elle se partage entre sa pratique de la psychothérapie en cabinet libéral et ses recherches universitaires.